Mois de la sensibilisation à la réalité des Autochtones vivant avec un handicap : entretien avec Rheanna Robinson, Ph. D. 

SP et handicap : perspectives autochtones

Au Canada, les peuples autochtones forment un groupe diversifié sur les plans culturel et géographique, composé des peuples des Premières Nations, des Métis et des Inuits. Selon l’Enquête auprès des peuples autochtones de 2017 de Statistique Canada, le taux d’incapacité est plus élevé chez les Autochtones que chez les non-Autochtones. Les Autochtones en situation de handicap ne se heurtent pas seulement à des difficultés au quotidien; ils doivent également composer avec la discrimination raciale systémique et interpersonnelle. Au Canada, les Autochtones qui vivent avec un handicap rencontrent des difficultés d’accès aux soins de santé et aux services de soutien en raison de leur emplacement géographique, de problèmes de financement et d’autres conditions sociales susceptibles de nuire à leur état de santé.

Novembre est le Mois de la sensibilisation à la réalité des Autochtones vivant avec un handicap. Instauré en 2015 par la British Columbia Aboriginal Network on Disability Society, le Mois de la sensibilisation à la réalité des Autochtones vivant avec un handicap est l’occasion de célébrer les réalisations des Autochtones qui vivent avec un handicap et leur contribution à la société malgré les obstacles et les difficultés auxquels ils font face.

Différentes définitions du handicap

« Il est essentiel de reconnaître que les peuples autochtones ont toujours eu des points de vue différents sur les personnes vivant avec un handicap », mentionne Mme Rheanna Robinson, Ph. D., professeure au Département d’études sur les Premières Nations de l’Université du Nord de la Colombie-Britannique .

« Dans notre monde contemporain, le “handicap” est rattaché à une identité construite qui permet aux personnes d’avoir accès à différents services de santé et d’être protégées par la Charte canadienne des droits et libertés. Terme colonial et socialement construit, le “handicap” se vit comme une expérience très individuelle et isolée qui peut nier les principes relationnels sur lesquels reposent les communautés autochtones. Le handicap n’a pas seulement des répercussions sur la personne, mais aussi sur ses parents, ses enfants, ses frères et sœurs et, en fin de compte, sur l’ensemble de sa communauté. »

Mme Robinson revient sur les échanges qu’elle a eus avec des aînés au sujet du mot « handicap » : « Certaines langues traditionnelles [autochtones] n’ont pas de terme pour désigner le “handicap” ou les “personnes handicapées”. Cela ne veut pas dire que les communautés autochtones n’ont pas eu ou n’ont pas de termes pour désigner des limites particulières. Par exemple, dans la langue nisga’a, malgré l’absence d’un terme pour désigner le handicap, il en existe un pour “marcher anormalement”, qui est “gana’atkw”. Mais le “handicap” ne définit pas l’identité d’une personne. Dans la vision traditionnelle des déficiences physiques, sensorielles, psychiatriques, cognitives, neurologiques ou intellectuelles, les peuples autochtones ne faisaient aucune distinction entre les personnes handicapées et celles non handicapées. Les qualités et les dons que nous possédons à la naissance n’incluent pas l’identité de personne handicapée, et le rôle relationnel d’une personne dans sa communauté prévaut toujours. »

Malgré l’instauration du Mois de la sensibilisation à la réalité des Autochtones vivant avec un handicap, « les perspectives traditionnelles des peuples autochtones à l’égard des handicaps représentent un domaine peu étudié », constate Mme Robinson.

« Il faut tenir compte de la perception du handicap, qui varie selon les différentes cultures, en particulier lorsqu’il est question de discrimination et de difficultés d’accès au sein d’une société capacitiste comme la nôtre. Le Mois de la sensibilisation à la réalité des Autochtones vivant avec un handicap est l’occasion de réfléchir à la question des différences et de promouvoir l’acceptation et l’inclusion. »

Le sujet touche intimement Mme Robinson. Mère autochtone et professeure d’origine métisse, elle vit avec la sclérose en plaques (SP) depuis plus de 26 ans.

« Comprendre la perception des personnes qui vivent avec un handicap et comprendre la réalité des personnes qui vivent avec un handicap sont deux choses très, très différentes. »

Celle qui se considère aujourd’hui comme une défenseure des droits et des intérêts des personnes handicapées ne parlait pas ouvertement de la maladie dont elle est atteinte il y a quelques années à peine.

« Il est difficile de surmonter les présomptions, la stigmatisation, la discrimination et les stéréotypes liés au fait d’être une personne autochtone et handicapée. La peur et l’isolement peuvent être aussi handicapants que la maladie elle-même. À l’école publique, à l’université et dans certains de mes lieux de travail, j’ai vu des gens juger le handicap comme une “chose mauvaise”. Au travail, j’évitais de m’absenter pour des raisons de santé et je n’osais pas rater une réunion parents-enseignants ou une rencontre sociale ou professionnelle importante. Risquer d’être perçue comme une incapable, une incompétente, une casse-pieds ou une paresseuse n’était pas une option. »

Le parcours de vie avec la SP de Mme Robinson

« Je rêvais de visiter l’Europe depuis toujours, et j’ai mis mes études universitaires sur pause pendant un an pour réaliser mon rêve, se souvient Mme Robinson. À l’automne de 1996 – j’avais alors 19 ans –, des symptômes sensoriels bizarres sont apparus. J’ai consulté un médecin en décembre, parce que j’avais des engourdissements et des fourmillements au niveau des jambes et du dos. Quelques années plus tard, les symptômes se sont déplacés vers mes yeux, et j’ai complètement perdu la vue. J’étais très jeune, et j’habitais dans une collectivité éloignée du nord de la Colombie-Britannique. Comme il n’y avait pas de neurologue à proximité, je me suis rendue à Vancouver pour subir un examen par IRM. J’ai reçu un diagnostic de SP au début de 1997. Mon voyage en Europe est tombé à l’eau, et la pause d’un an dans mes études universitaires a pris une tout autre dimension. Je l’ai passée à réfléchir à mon avenir, à ma vie et à ce que j’allais devenir. »

Je l’ai passée à réfléchir à mon avenir, à ma vie et à ce que j’allais devenir. »

– Mme Rheanna Robinson, Ph. D.

Mme Robinson a grandi dans la petite ville de Smithers, dans le nord-ouest de la Colombie-Britannique.

« Je savais ce qu’était la SP, car c’est une maladie répandue [à Smithers]. Bien entendu, je savais surtout que c’était une maladie grave. À l’annonce du diagnostic, j’ai d’abord ressenti une grande peur avant d’entrer dans un profond déni. Je n’ai parlé du diagnostic à personne, à l’exception des membres de ma famille immédiate. C’est seulement plus tard que j’ai compris à quel point ce secret avait été un fardeau pour moi pendant plus de 20 ans. J’ai vécu dans le déni pendant une bonne vingtaine d’années. »

Récemment, Mme Robinson a appris que la SP avait évolué vers la forme progressive secondaire dans son cas, et les manifestations de la maladie sont devenues beaucoup plus visibles. Elle a commencé à se déplacer avec une canne lorsque des troubles de la mobilité sont apparus, et elle utilise depuis peu une marchette au quotidien. Elle a pris congé de ses fonctions de professeure, « parce que je ne pouvais plus travailler 70 heures par semaine », dit-elle à la blague.

« Au cours des cinq dernières années environ, la SP a envahi tout le côté droit de mon corps, du visage jusqu’aux pieds, et j’ai beaucoup de difficulté à bouger ma jambe. Je ne suis plus capable d’écrire avec un crayon. J’ai perdu énormément de dextérité. Et je ne vous parle pas de la fatigue. Les troubles de la mobilité sont toutefois ceux qui me causent le plus de difficultés, car ce sont les plus visibles. »

« Je n’ai jamais parlé de la SP dans le cadre de ma vie professionnelle – jamais. C’est un conseil qu’on m’a donné quand j’ai reçu le diagnostic : ne jamais dévoiler un diagnostic de SP à un employeur. Je ne l’ai jamais oublié. Alors, même quand il était évident que j’avais de graves problèmes, je n’ai jamais dit à personne que j’avais la SP. C’était ma façon de composer avec la maladie, de poursuivre mes travaux de recherche, d’avancer dans ma carrière, d’être mère et d’entretenir des relations avec ma famille et mes amis. »

Réalités autochtones et SP

Mme Robinson est depuis longtemps une leader et une militante au sein de la collectivité autochtone de la Colombie-Britannique. Elle a notamment été la première conseillère principale sur les questions autochtones auprès du recteur de l’Université du Nord de la Colombie-Britannique; il s’agit d’un poste influent qui a été créé en 2016. Lorsqu’elle a commencé à parler de son diagnostic de SP, elle a constaté les lacunes dans le traitement réservé aux Autochtones au sein de la collectivité des personnes handicapées, que ce soit sur le plan des interactions, des services ou des activités.

« Quand j’ai appris que j’avais la SP, et pendant de nombreuses années par la suite, tout le monde – même les neurologues – me disait que puisque j’étais métisse, mes origines européennes étaient sans doute en cause. En d’autres mots, tous qualifiaient la SP de “maladie de personne blanche”. D’autres Autochtones qui vivent avec la SP m’ont rapporté des constats similaires. On leur a dit que la maladie provenait sans doute de leurs origines non autochtones, ou qu’ils souffraient peut-être d’une autre maladie.

Des cas de racisme, de discrimination et de violence envers des personnes autochtones au sein du système de santé canadien sont couramment rapportés. Mme Robinson n’a pas vécu d’expériences de la sorte.

« À l’exception d’une personne, je n’ai pas subi de réactions négatives par rapport à mon identité. J’ai eu de la chance. Je suis cependant convaincue que la discrimination et le racisme systémiques sont profondément ancrés dans la prestation des soins au sein de notre système de santé, surtout en Colombie-Britannique. »

Les Autochtones du Canada forment un groupe diversifié, et l’expérience de Mme Robinson, bien qu’importante, n’est pas représentative de celle de toute une collectivité. Pour certains, la vie dans une collectivité éloignée se traduit par des difficultés d’accès aux soins de santé, en particulier aux soins spécialisés. Le premier neurologue de Mme Robinson, établi à Prince George, ne se déplaçait que quelques fois par année pour visiter des patients. Lorsqu’il lui a annoncé qu’il mettait fin à ses visites dans sa ville, il lui a suggéré de venir le consulter à Vancouver. Rheanna était en mesure de faire le trajet de neuf heures en auto, mais il ne s’agit pas d’une solution viable pour la plupart des personnes qui vivent avec la SP, qu’elles soient Autochtones ou non-Autochtones.

Faire entendre la voix des personnes autochtones qui vivent avec la SP

En novembre 2020, Mme Robinson s’est entretenue avec un journaliste de la CBC de son expérience de vie avec la SP, qu’elle avait pour ainsi dire toujours gardée secrète. Les réactions à l’article lui ont confirmé à quel point il est important qu’elle raconte son histoire et s’affiche publiquement.

« Après la parution de cet article de la CBC, j’ai reçu beaucoup de témoignages de soutien et d’encouragements de gens de ma collectivité et de toute la province. Une jeune Autochtone de la Colombie-Britannique qui vit avec la SP m’a écrit sur Facebook. Elle m’a dit ceci : “Vous m’avez fait tellement de bien. Tout le monde me dit que les personnes des Premières Nations ne peuvent être atteintes de SP.” »

Même si elles ne font pas les manchettes, les petites choses qu’effectue Mme Robinson, comme demander à un ancien d’accueillir l’auditoire et de prononcer le discours d’ouverture lors des conférences Norther Speakers organisées par le club de soutien aux étudiants vivant avec la SP de l’Université du Nord de la Colombie-Britannique, peuvent être source de changements.

« C’est peu, mais cela donne un autre sens au format et au contenu des conférences, et ce genre d’action a une grande signification pour beaucoup de gens qui n’étaient peut-être pas pris en considération auparavant. »

Lorsqu’on lui demande comment les organismes qui interviennent auprès des personnes handicapées peuvent mieux servir les Autochtones, Mme Robinson répond ceci : « Il faut trouver des personnes qui ont une expérience concrète, qui possèdent les connaissances et qui peuvent apporter une contribution en trouvant leur place au sein des organismes et de leurs milieux de vie et de travail. Je constate qu’il y a encore beaucoup de travail à faire à ce chapitre. Les déclarations et les politiques sont nécessaires, mais sans une pleine participation des personnes handicapées, les services continueront de se limiter à la compassion et à la compréhension et ne seront pas réellement représentatifs et utiles. »

La Société de la SP s’est réjouie d’accueillir Mme Robinson au sein de son conseil d’administration en 2021 afin qu’elle enrichisse les discussions grâce à son expertise, sa précieuse expérience et son point de vue.

« J’essaie de trouver comment apporter ma contribution à la société sans négliger les causes qui me tiennent à cœur, comme la défense des droits et des intérêts des collectivités autochtones », dit-elle humblement.

Mme Robinson transforme le déni qui l’a incitée à taire son diagnostic pendant des dizaines d’années en une puissante motivation à agir pour que les peuples autochtones soient représentés dans les conversations entourant les handicaps et la sclérose en plaques au Canada, et pour qu’ils y participent pleinement.

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