Au Canada, le risque d’avoir la SP est trois fois plus élevé chez les femmes que chez les hommes. Par ailleurs, les rôles de proche aidant et de soignant sont de façon prédominante assumés par des femmes, ce qui explique pourquoi celles-ci sont si nombreuses à être tentées de faire passer leur santé après celles des personnes qui leur sont chères, comme leurs parents ou leurs enfants. Or, les préoccupations sociales et familiales des femmes peuvent avoir des conséquences néfastes chez celles qui sont aux prises avec la SP, maladie dont la prise en charge peut impliquer un programme régulier de soins autogérés, des rendez-vous médicaux périodiques ainsi qu’un traitement à suivre de façon continue.
Les exigences liées au rôle de mère imposent aux femmes de se préoccuper constamment des besoins de leurs enfants, ce qui amène nombre d’entre elles à accorder plus d’importance à la santé et au bien-être de ces derniers qu’à leur propre qualité de vie. Pourtant, en cas de SP, il importe de prendre soin de soi quotidiennement et d’être attentif aux changements subtils ou marqués attribuables à la maladie.
Il convient donc de se poser les deux questions suivantes. Comment une femme atteinte de SP peut-elle concilier son rôle de mère et les exigences qu’impose la SP? Comment les femmes aux prises avec la SP parviennent-elles à s’occuper d’elles-mêmes quand leur état exige qu’elles se reposent alors que l’un de leurs enfants ne se sent pas bien ou a besoin de toute l’attention de sa mère?
Nous nous sommes entretenus avec Frances, qui est bien placée pour aborder ces questions, et ce, non seulement en tant que fille d’une femme ayant vécu avec la SP, mais également comme personne aux prises avec cette maladie et mère de deux enfants.
LE PARCOURS DE FRANCES
Pour moi, vivre avec la SP s’apparente un peu à un scénario où, dans un avion, il importe que chaque passager mette son propre masque à oxygène avant de venir en aide aux autres. Autrement dit, je dois prendre soin de moi pour pouvoir m’occuper de mes filles comme il se doit. Vous apprenez à donner la priorité à votre santé afin d’être en mesure de répondre aux besoins de vos enfants, que ce soit dans l’immédiat ou à long terme. L’une de mes pires craintes, surtout depuis le décès de ma mère survenu en raison de complications liées à la SP, est de ne plus pouvoir me tenir aux côtés de mes filles.
Mes deux filles avaient respectivement deux et quatre ans lorsque j’ai reçu un diagnostic de SP, ce qui m’a toujours semblé étrange, car j’avais quatre ans quand ma mère a appris qu’elle était atteinte de cette maladie. J’avais 29 ans lorsqu’elle est décédée. Le diagnostic que j’ai reçu à l’automne 2015 a suscité chez moi un sentiment de peur, mais je me suis estimée chanceuse compte tenu du temps que ma mère a dû attendre avant de savoir qu’elle avait la SP. De nos jours, un tel diagnostic peut encore tarder en raison de la nature particulière de cette affection et de la difficulté que certaines personnes peuvent avoir à se faire entendre dans le cadre de notre système de santé. J’ai tout d’abord éprouvé des troubles visuels attribuables à une névrite optique. Aux urgences, les médecins m’ont orientée vers un ophtalmologiste, qui m’a reçue le lendemain et s’est prononcé en disant : « Je crois qu’il pourrait s’agir de la SP. » Parmi les membres de mon groupe d’entraide, il y a des gens qui, des années durant, ont éprouvé des symptômes bizarres que les médecins ne parvenaient pas à expliquer. Je considère comme une source de soulagement le fait d’avoir reçu un diagnostic rapidement.
S’adapter à sa nouvelle réalité
J’ai connu une période où je devais me déplacer régulièrement pour recevoir les traitements dont j’avais besoin, et cela a eu un impact considérable sur mon quotidien et celui de ma famille. Il m’est déjà arrivé de devoir me présenter à mes rendez-vous avec mes filles, ce qui n’est jamais une mince affaire. Je confie également mes filles à des amis lorsque je dois me rendre dans une autre ville pour mon suivi. À un moment donné, j’ai eu à choisir entre une clinique de SP établie à Kelowna et une autre basée à Vancouver. La clinique située à Vancouver constituait la meilleure option pour moi du point de vue du traitement, mais j’ai opté pour celle qui se trouvait à Kelowna, parce que celle-ci était la plus proche de mon domicile et que mes filles étaient alors très jeunes. Lorsque celles-ci sont devenues un peu plus grandes, j’ai changé de clinique pour être suivie à Vancouver. Mes filles m’accompagnent à mes rendez-vous ou je les fais garder lorsque je me présente à la clinique avec mon mari. Si lui et moi devons nous absenter plus d’une journée de la maison, nos filles restent chez des amis. Quelle que soit la façon dont vous procédez, les choses ne sont pas faciles en pareille situation, et vous n’avez pas d’autre choix que de vous adapter à votre nouvelle réalité.
La prise en charge de la SP serait nettement plus facile si mon mari et moi n’avions pas d’enfants. Par ailleurs, votre rôle de mère évolue au fur et à mesure que vos enfants grandissent. Présentement, ce n’est pas facile, car je ne peux pas laisser seules à la maison mes deux filles, qui ont encore grandement besoin de moi. D’un autre point de vue, toutefois, j’apprécie le fait de ne pas avoir à me soucier pour le moment des influences qu’elles pourraient subir plus tard en dehors de leur milieu familial.
Il ne fait aucun doute que je pourrais veiller plus facilement sur ma santé si je n’étais pas mère de famille. Cependant, pour rien au monde je ne voudrais changer de vie. Le fait d’avoir des enfants rend généralement la vie plus compliquée, avec ou sans la SP, mais le fait d’être parent s’avère indéniablement gratifiant.
Prendre soin de soi au quotidien
La tactique que j’ai adoptée pour prendre soin de moi consiste principalement à faire de l’exercice. En effet, l’activité physique me procure des bienfaits indéniables tant sur le plan des manifestations de la SP que sur celui de ma santé mentale et physique. Présentement, la chaleur et la fatigue constituent les facteurs qui ont le plus d’impact sur ma qualité de vie, en ce sens qu’elles limitent mes capacités. Il a aussi fallu que j’apprenne à expliquer à mes filles qu’elles ne sont pas la cause de mes limites et que cette perte de capacité ne résulte pas d’un manque de volonté de ma part. Si je suis fatiguée, je m’accorde une pause pour faire une sieste. Mes filles vont au service de garde après l’école quelques jours par semaine, ce qui me procure un peu de temps pour m’entraîner, me reposer ou prendre en main n’importe quel besoin que je pourrais avoir. J’ai beaucoup de chance de pouvoir compter sur le soutien de mon mari, de ma famille et de mes amis.
La pratique régulière d’exercices est l’un des éléments majeurs du programme de soins autogérés de Frances. Lorsque la SP le lui permet, cette dernière s’adonne à la course à pied et au vélo de montagne durant la belle saison ainsi qu’au ski de fond et au hockey en hiver.
Lorsqu’elle se sent particulièrement fatiguée, elle se limite à accompagner ses enfants à pied jusqu’à leur école tous les jours ou à faire de courtes promenades en marchant avec des amis.
SP et maternité, hier et aujourd’hui
Que ce soit avec moi ou mon frère, ma mère parlait rarement de la maladie dont elle était atteinte. Elle conservait une attitude très positive et ne se plaignait jamais, mais la SP était un sujet qu’elle n’abordait pas vraiment avec ses enfants. Mon père, quant à lui, en parlait. Nous pouvions donc lui poser des questions à ce sujet et nous comprenions de quoi il s’agissait. Quant à moi, j’ai toujours opté pour une attitude ouverte envers mes filles et je m’efforce d’aborder ce sujet avec elles tout en tenant compte de leur âge. Je ne pense pas que l’attitude de ma mère vis-à-vis de la SP ait eu un impact sur mon éducation. Ma mère était très positive, et mon frère et moi nous sommes toujours sentis aimés. Je tiens toutefois à ce que mes enfants soient à l’aise de nous interroger, mon mari et moi, afin d’en savoir plus sur la SP.
Je ne me souviens pas du jour où ma mère a reçu son diagnostic de SP. Mes souvenirs les plus anciens de sa vie avec cette maladie remontent à l’époque où elle a commencé à marcher avec une canne et à porter une attelle à l’un de ses pieds, qui traînait au sol – symptôme appelé
« pied tombant ». Je ne me rappelle pas en avoir discuté, mais je me souviens que ce changement a été pour moi un premier indice, car les gens regardaient ma mère sans toutefois lui poser de questions. Je me rappelle avoir traité une personne d’imbécile parce qu’elle nous regardait et je revois encore ma mère me demander pourquoi je venais de me comporter ainsi. Ma réponse fut la suivante : « Cette personne te regardait parce que tu marches avec une canne. » En se tournant vers moi, ma mère m’a alors expliqué : « Cette personne ne comprend tout simplement pas pourquoi j’utilise une canne et ne sait pas comment m’en parler. Ce n’est certainement pas parce qu’elle est stupide. » C’est un souvenir qui ne s’efface pas, et depuis les débuts de mon propre parcours avec la SP, je m’efforce de mettre en application la leçon que j’en ai tirée.
Parler de la SP avec ses enfants, lorsqu’on est atteint de cette maladie, repose sur une décision très personnelle. Le fait de ne pas cacher à mes enfants la réalité que je vis et d’aider ces derniers à comprendre mes besoins et mes limites a grandement facilité ma vie tout en nous permettant de nous rapprocher. Alors que j’avais 10 ou 11 ans, mon père et moi avons participé pour la première fois à la Marche de l’espoir. Cela m’a fait énormément de bien et m’a donné le sentiment que je faisais quelque chose d’utile. Ma participation à cet événement m’a beaucoup motivée en plus de constituer, chaque année, une expérience d’un jour très amusante pour mon père et moi. J’aimerais offrir à mes filles la possibilité de comprendre qu’elles ont les moyens d’aider des gens si cela peut leur apporter de la satisfaction.
Se tourner vers l’avenir
Ma plus grande préoccupation est de pouvoir rester aux côtés de mes filles – souci que le décès de ma mère a suscité chez moi. Tous les neurologues que j’ai croisés m’ont assuré que de nombreux progrès ont été réalisés dans le domaine de la recherche sur la SP depuis l’époque où ma mère a reçu son diagnostic de sclérose en plaques. En effet, lorsque j’ai appris que j’avais la SP, six médicaments modificateurs de l’évolution de la SP avaient déjà été homologués, alors qu’aucun traitement de ce type n’était encore offert lorsque ma mère a su qu’elle était atteinte de cette maladie. En fait, tout au long de sa vie avec la SP, ma mère ne s’est vu proposer aucune option thérapeutique. Ce que je crains maintenant est la façon dont la SP influera sur ma vie et mon aptitude à remplir mon rôle de mère. J’espère par ailleurs que mes filles n’auront pas la SP malgré leurs antécédents familiaux et la forte prévalence de la SP parmi les femmes vivant au Canada.
La SP n’apporte pas uniquement de la peur et de la tristesse. Elle vous apprend aussi à mieux apprécier les choses – et j’espère que cela est vrai dans mon cas. Elle vous amène à comprendre que vous ne pouvez pas tout maîtriser dans la vie, que des choses injustes peuvent vous arriver et que vous n’y pouvez rien.
Je parle régulièrement de ma mère à mes deux filles. Je leur dis à quel point leur grand-mère – qui s’appelait Margaret – était extraordinaire et drôle. Je leur explique aussi qu’elle aurait aimé jouer avec ses petites-filles et qu’elle aurait été ravie de constater que celles-ci font autant de bruit qu’elle pouvait en faire elle-même.
Finalement, il importe que je prenne soin de moi si je veux pouvoir continuer de remplir mon rôle de mère auprès de mes filles. En ce qui me concerne, la vie avec la SP implique simplement des exigences particulières quant aux soins dont j’ai besoin, soit des nécessités avec lesquelles les gens exempts de cette maladie n’ont pas à composer. Ayant vu ma mère vivre avec la SP, je sais que mes deux filles peuvent comprendre la réalité qui est la mienne. Je suis d’avis qu’il est formidable de pouvoir montrer à ses enfants qu’on leur fait suffisamment confiance pour leur parler de ce qu’on vit réellement.