Le moins que l’on puisse dire de la chercheuse clinicienne Jiwon Oh, qui est une sommité de la recherche sur la sclérose en plaques (SP) au Canada, c’est qu’elle a de l’ambition. Non seulement elle fait partie du personnel médical de l’Hôpital St. Michael, où elle exerce à titre de neurologue et est spécialisée dans la prise en charge des personnes atteintes de SP, mais en plus elle dirige le programme de recherche en imagerie par résonance magnétique (IRM) de la principale clinique de SP du Canada. À toutes ces réalisations s’ajoute sa récente nomination à la tête d’une équipe de près de 50 chercheurs dans le cadre de l’étude CanProCo (Canadian Proactive Cohort for People Living with MS). Nous nous sommes entretenus avec elle pour en savoir plus sur ce nouveau projet de recherche prometteur. Voici les points essentiels qui sont ressortis de cette entrevue :
Qu’est-ce qui vous a amenée à participer à ce projet?
Dre Oh: Nous avons réalisé des progrès considérables au cours des dix dernières années. Par exemple, le nombre de traitements contre la forme cyclique (poussées-rémissions) de la SP a triplé. Nous fondons de grands espoirs dans notre capacité à mieux comprendre cette maladie, à mettre au point de meilleurs traitements et à améliorer la vie de nos patients et nous déployons de toute évidence de nombreux efforts dans ce sens à l’échelle internationale. Cela dit, à titre de clinicienne, je crois que s’il y a bien un axe de recherche à approfondir, c’est celui qui porte sur la détermination des causes de la progression de la SP, d’une part, et sur les options thérapeutiques contre la SP progressive, d’autre part. En fait, c’est ce qui m’a attirée dans ce projet : il s’agit d’une initiative nationale de très grande envergure qui vise exclusivement à nous permettre de mieux comprendre la progression de la SP.
Pouvez-vous nous expliquer en quoi consiste l’étude CanProCo?
Dre Oh: Ce projet, qui mûrit depuis de nombreuses années, nous permettra de recruter des personnes atteintes de SP au sein de divers centres canadiens importants afin de former une cohorte. La Société canadienne de la SP a pris les rênes de la collecte de fonds qui favoriseront la mise en œuvre de l’étude. Nous prévoyons suivre cette cohorte de patients pendant au moins cinq ans en vue d’examiner un large éventail de facteurs susceptibles d’être liés à la progression de la SP. Les données recueillies au cours de ce suivi nous aideront à comprendre les facteurs de risque de progression de la SP ainsi que les mécanismes sous-jacents à ce processus. Nous nous sommes fixé comme objectif ultime d’améliorer les stratégies de prise en charge, que ce soit en mettant au point de meilleurs traitements qui ciblent la progression de la SP ou en établissant des stratégies de prévention de celle-ci ou des stratégies de prise en charge holistique systématique des patients atteints de SP progressive.
J’aimerais préciser que cette cohorte ne sera pas formée exclusivement de personnes atteintes de SP progressive. Elle comprendra également des gens qui vivent avec une autre forme de SP. Nous souhaitons découvrir pourquoi toutes les formes de SP finissent par évoluer; c’est pour cette raison que la cohorte englobera des personnes qui présentent divers sous-types de cette maladie.
En quoi l’étude CanProCo est-elle une initiative particulièrement prometteuse dans le cadre de la recherche sur la SP?
Dre Oh: Comme je le disais, c’est la première étude de cohorte qui nous permettra peut-être de comprendre la progression de la SP. De plus, c’est un projet d’envergure nationale. Cela fait longtemps que le Canada contribue considérablement à faire avancer la recherche sur la SP, étant donné les forts taux d’incidence et de prévalence de cette maladie qu’il enregistre. Les Canadiennes et les Canadiens se distinguent par leur capacité à unir leurs efforts pour trouver des solutions, comme en témoigne l’étude CAnProCo sur la progression de la SP à laquelle collaboreront de nombreux experts de renom établis aux quatre coins du pays. Ces experts, qui sont notamment spécialistes en neuro-immunologie ou en neuro-imagerie, épidémiologistes ou cliniciens, maîtrisent tous une ou plusieurs disciplines scientifiques essentielles à la compréhension de la SP.
En quoi un projet comme celui-là contribuera-t-il à enrichir le corpus de connaissances sur la SP?
Dre Oh: Pour combler l’un des besoins les plus criants en matière de prise en charge de la SP, il faudrait réussir à comprendre et à traiter la progression de toutes les formes de cette maladie. C’est précisément le but de l’étude CanProCo. Il existe d’autres études de cohortes de personnes atteintes de SP à l’échelle internationale, mais aucune d’entre elles ne porte précisément sur ce besoin non satisfait. En ciblant un objectif précis comme celui-là, nous accroîtrons nos chances de pouvoir explorer des possibilités pertinentes et espérons ainsi mieux comprendre le processus à l’étude et nous engager sur des pistes de solutions qui se révéleront utiles pour les personnes atteintes de SP.
À votre avis, comment les données recueillies vous offriront-elles des perspectives de collaboration à l’échelle internationale?
Dre Oh: Grâce à cette étude de cohorte, nous espérons être en mesure d’améliorer l’efficience des projets de recherche en cours en établissant un lien avec d’autres cohortes existantes, en vue de tirer parti des efforts collectifs déployés à l’échelle mondiale. Par exemple, nous collaborerons probablement avec le Dr Doug Arnold, scientifique et neurologue canadien, puisque la cohorte de l’étude CanProCo permettra de valider certains résultats du projet de recherche qu’il mène actuellement en imagerie, subventionné par l’International Progressive MS Alliance. Nous ajouterons également nos données à la MSBase, à savoir un vaste registre international de personnes atteintes de SP. Certes, notre objectif est d’utiliser les données recueillies auprès de notre cohorte, mais nous nous sommes fixé un autre but important, soit celui de collaborer à d’autres initiatives collectives avec d’autres équipes de recherche, afin de nous rendre service les unes les autres et d’améliorer l’efficience de nos projets de recherche scientifique respectifs.
Nous savons que les manifestations de la SP varient d’une personne à l’autre. Dans quelle mesure ce projet nous apportera-t-il des solutions qui pourront s’appliquer à l’ensemble des personnes atteintes de SP selon vous?
Dre Oh: L’un des défis associés à la SP tient au fait que la prise en charge de cette maladie doit être personnalisée. Cette étude de cohorte a ceci d’avantageux qu’elle ne se limitera pas à la collecte de données biologiques : nous étudierons un large éventail de facteurs susceptibles d’influer sur la progression de la SP en nous fondant sur des données biologiques, cliniques ou environnementales ou encore sur des données sur les effets sur la santé, pour ne citer que celles-là. En adoptant une perspective élargie qui englobe de nombreuses disciplines scientifiques, nous serons en mesure de personnaliser de nombreux aspects du traitement et de la prise en charge des personnes qui vivent avec la SP.
Pouvez-vous nous expliquer ce que représentent les objectifs suivants de l’étude pour les personnes atteintes de SP : mieux comprendre les mécanismes biologiques sous-jacents à la progression de la SP, repérer les facteurs de risque de progression de cette maladie (facteurs environnementaux, facteurs cliniques et facteurs liés au système de santé) et trouver des marqueurs susceptibles de contribuer à la prise en charge des patients, y compris des marqueurs permettant de prévoir le devenir de ceux-ci?
Dre Oh: Nous ne nous contenterons pas d’essayer de comprendre les mécanismes liés à la progression de la SP. Nous tenterons également de cerner les divers types de facteurs environnementaux modifiables qui peuvent contribuer à prévenir ce processus. Par exemple, nous évaluerons certains facteurs tels que le tabagisme, la consommation de cannabis et l’alimentation, qui peuvent tous influer sur la progression de la SP. Nous serons également en mesure d’évaluer certaines maladies concomitantes qui peuvent contribuer à la progression de cette maladie chez certaines personnes, ainsi que les liens qui existent entre ces divers facteurs de risque. Le tableau clinique de la SP est très variable; par conséquent, il est difficile de déterminer les facteurs qu’il faut corriger au cas par cas pour atténuer les effets de cette maladie. Cela dit, puisque nous examinerons un grand nombre de facteurs qui relèvent de divers domaines de recherche scientifique, nous espérons cerner ceux qui présenteront un intérêt particulier pour un patient donné. Je crois que c’est ainsi que nous pourrons influer sur le cours de la maladie à l’échelle individuelle.
De quelle façon l’expérience de vos patients vous a-t-elle incitée à poursuivre votre lutte pour stopper la SP?
Dre Oh: La SP fait partie d’un petit groupe de maladies neurologiques chroniques qui touchent les jeunes adultes. Je rencontre tous les jours des jeunes qui amorcent leur vie d’adulte, embrassent une carrière ou fondent une famille tout en se sachant atteints d’une maladie neurologique qui accélérera le déclin de leurs capacités fonctionnelles, et j’imagine à peine à quel point il est difficile de vivre ainsi. C’est ce qui me pousse à faire ce qui est en mon pouvoir pour les aider réellement. La force de caractère des patients et les espoirs qu’ils nourrissent malgré l’incertitude liée à la maladie dont ils sont atteints sont également des sources de motivation pour moi. Je tire autant de leçons de l’expérience de mes patients qu’ils n’en tirent de la mienne.