« Depuis toujours, de nombreux préjugés collent à la peau des femmes noires. On les dit agressives, en colère ou ignorantes, ou encore fortes, confiantes et exubérantes. Étant moi-même une femme noire de taille forte, beaucoup de ces préjugés me suivent depuis que je suis jeune. Combien de fois ai-je entendu des phrases comme “Masini, tu es tellement drôle!” ou “Tu n’as pas besoin d’être aussi arrogante”. Bien entendu, on me dit également à quel point je suis forte et qu’il n’y a rien à mon épreuve. Sans vraiment comprendre que ces remarques représentent une forme de microagression, j’en ai interprété certaines comme des compliments et m’en suis enorgueillie. Je me répétais à moi-même que j’étais forte, que j’étais hilarante et que je n’avais pas une attitude hautaine, mais plutôt une grande confiance en moi. J’ai compris au fil du temps que je ne fais pas que raconter des blagues, que ma confiance en moi peut vaciller, que mon physique peut être une source d’insécurité et que je ne peux pas TOUJOURS être forte, surtout en tant que personne vivant avec une maladie chronique. Je me heurte à une foule de difficultés parce que je suis Noire, et ma féminité est une construction sociale qui peut souvent être un fardeau. Ces caractéristiques n’ont à la fois rien à voir et tout à voir avec mon sens de l’humour, ma confiance en moi et ma personnalité de “femme noire forte”. La couleur de ma peau et ma divine féminité sont là pour me rappeler qu’elles ne définissent pas qui je suis. Elles font partie de moi, mais ne sont pas moi.
« C’est triste à dire, mais j’ai été surprise de constater qu’on me prenait au sérieux quand j’ai ressenti mes premiers symptômes de SP. Trop souvent, les femmes noires doivent cacher leur douleur, car on ne les croit pas. Heureusement, on m’a appris à me tenir debout et à défendre mes intérêts coûte que coûte, car personne ne le fera à ma place. Je dois malgré tout avouer que j’ai eu de la difficulté à accepter que je n’allais pas bien. J’ai tellement l’habitude de cacher mes sentiments que j’ai eu du mal à demander de l’aide.
« Mes premiers symptômes sont apparus lors d’un voyage en mai 2021, sous forme d’engourdissements du côté gauche de mon corps. J’ai d’abord pensé que j’avais mal dormi. De retour à la maison, je suis allée voir un médecin, qui m’a immédiatement dirigée vers l’hôpital. J’ai subi des prises de sang et un examen par tomodensitométrie, mais, étonnamment, les résultats étaient normaux. Quelques semaines plus tard, les résultats d’un examen par IRM ont révélé des lésions au cerveau et à la moelle épinière. Les mois suivants ont été très difficiles, et remplis de questions. Après de nombreux examens, la découverte de nouvelles lésions au cerveau et des visites à la Clinique de SP de l’hôpital St. Michael’s, j’ai reçu un diagnostic officiel de SP cyclique (poussées-rémissions) en février 2022, soit près d’un an après l’apparition des premiers symptômes.
« Je n’oublierai jamais le jour de l’annonce du diagnostic. J’étais heureuse d’avoir enfin des réponses à mes questions. J’étais confuse, parce que je ne savais pas ce que me réserverait l’avenir. J’étais en colère, parce que ça m’arrivait à moi, et j’étais triste, car je connaissais les effets de la SP chez beaucoup de personnes atteintes de cette maladie. Mon père vit également avec la SP, et je n’arrivais pas à croire que c’est aussi ce que la vie me réservait, puisqu’il ne s’agit pas d’une maladie héréditaire.
« J’exerce le métier d’actrice, et j’ai été engagée en mars 2022 pour jouer dans une nouvelle comédie musicale (Grow) sur les planches du Grand Theatre de London, en Ontario. C’était la première fois que je remontais sur scène pour jouer dans une comédie musicale depuis le confinement de 2020. J’ai toujours été nerveuse avant une prestation, mais c’était encore pire cette fois-ci. J’avais peur que ma mémoire, mon corps ou ma santé flanchent, mais j’ai été honnête relativement à mon état et, surtout, j’ai été honnête envers moi-même. C’est l’honnêteté qui m’a permis de me rendre jusqu’au bout. Tout travail comporte son lot de difficultés, mais donner huit représentations par semaine avec une seule journée de pause, devant des centaines de personnes, est un travail exigeant pour n’importe quel acteur – sans compter les difficultés que peuvent entraîner des symptômes de SP. Je suis donc très fière de m’être produite au meilleur de mes capacités, sans subir de poussée.
« Je vis ma vie un jour à la fois. Au quotidien, j’ai notamment le cerveau embrouillé et j’éprouve de la fatigue, des pertes d’équilibre, des douleurs musculaires, des douleurs au dos et aux jambes, et je dois composer avec de frustrantes sautes d’humeur. Ces symptômes sont légers comparativement à d’autres que j’ai ressentis lors de fortes poussées, comme une névrite optique (j’ai depuis perdu partiellement la vue du côté droit et je suis devenue daltonienne). J’ai également eu des problèmes à la jambe gauche et, bien sûr, des engourdissements du côté gauche comme lors de ma première poussée. Tous ces symptômes me causent de l’anxiété. Je vais au lit inquiète, ne sachant pas comment je me sentirai au matin. Je cherche encore des moyens de gérer la douleur et l’anxiété de façon saine.
« Heureusement, je peux compter sur un merveilleux réseau de soutien. À sa tête se trouve ma mère, une femme noire forte qui est coordonnatrice du programme de mobilisation des étudiants noirs du campus de Scarborough de l’Université de Toronto. Elle m’a tout appris, elle est toujours là pour me défendre et m’accompagne au quotidien, malgré ses problèmes de santé. Il y a aussi ma grand-mère, une autre femme noire forte qui est toujours là pour ses filles. Je peux aussi compter sur ma famille de cœur – des personnes de tous les horizons que j’ai connues à différents chapitres de ma vie et qui me manifestent leur amour de mille et une façons. Je ne pense pas que j’aurais pu m’en sortir sans toutes ces personnes. Ma famille et mes amis, où qu’ils soient, m’aiment, m’encouragent et sont là pour moi, et je leur en serai éternellement reconnaissante.
« Je m’adapte encore à la situation, et je suis heureuse d’avoir des gens sur qui compter. À l’annonce du diagnostic, j’ai d’abord eu l’impression d’avoir un secret à cacher. Je me sentais honteuse et coupable, comme si cela était ma faute. Soudainement, je me suis mise à exprimer mes pensées et mes sentiments sur Instagram. Je n’aurais jamais pensé être le genre de personne à s’ouvrir autant sur les réseaux sociaux, mais j’ai constaté les bienfaits de mon ouverture et de mon honnêteté. J’ai tissé des liens avec d’autres personnes atteintes d’une maladie chronique, donné des conseils, rencontré des personnes atteintes de SP et posé des questions. Qui aurait cru qu’Instagram aurait pour moi un effet libérateur.
« La SP n’a pas qu’un visage. Je ne savais pas qu’elle touchait les femmes noires de la même façon que les femmes blanches sous certains aspects. Je ne savais pas que la SP pouvait être prise en charge. Je ne savais pas que je pouvais continuer d’exercer mon métier. Je ne savais pas que je pouvais vivre ma vie de jeune femme malgré la maladie. Il est essentiel de voir d’autres visages et d’autres incarnations de la maladie pour ne plus se sentir seul et invisible.
« Si vous ne reconnaissez pas votre voix dans celles des autres, prenez la parole. Exprimez-vous, pour que d’autres voix comme la vôtre se fassent entendre. N’oubliez jamais que d’autres personnes se sentent comme vous. Vous n’êtes pas seul. Votre voix compte.
« Le Mois de l’histoire des Noirs est l’occasion d’honorer et de célébrer la joie, l’excellence et les importantes contributions des Noirs. Cette célébration me rappelle aussi que je descends d’une longue lignée de survivants. On m’a appris à être reconnaissante envers mes ancêtres, qui ont enduré de grandes atrocités. J’ai la chance aujourd’hui d’apporter ma petite contribution à ma communauté et, je l’espère, aux générations futures.
« À toutes mes magnifiques sœurs noires qui apprivoisent courageusement un diagnostic : je vous vois, je vous honore, je suis avec vous! Nous sommes sous-estimées de façon chronique! »
Toutes les personnes qui sont atteintes de SP méritent de se sentir représentées dans les récits que nous publions. Pour nous, il ne s’agit pas uniquement de souligner un mois, une semaine ou une journée; il s’agit aussi de respecter notre engagement à permettre à toutes et à tous de faire entendre leur voix tout au long de l’année. Parlez-nous de votre expérience en lien avec la SP en nous écrivant, à mediassociaux@scleroseenplaques.ca.